Petits pays ayant d’importants besoins de main-d’œuvre, le Luxembourg et la Suisse attirent tous deux un grand nombre de travailleurs frontaliers. C’est dans une perspective comparative que les 19 auteurs impliqués dans ce Cahier Thématique analysent la situation des travailleurs frontaliers dans les principaux pôles d’emploi transfrontaliers (Luxembourg, Bâle, Genève), mais également au Tessin. En tenant compte des éléments contextuels et méthodologiques, géographes, économistes, sociologues et politologues se focalisent sur les questions d’emploi, le quotidien transfrontalier et les perceptions des frontaliers par la société. Cette approche collective et pluridisciplinaire est résumée par les éditeurs en identifiant des enjeux communs pour le Luxembourg et la Suisse.
Cet article analyse le travail frontalier et le travail détaché dans la Grande Région SaarLorLux. Il a questionné les pratiques générées par ces formes de mobilité au sein de ce grand territoire transfrontalier au carrefour de 4 pays européens : la France, l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique. Il montre que ces deux formes de mobilité du travail sont des démonstrateurs du droit à la mobilité intra-européenne, résultat majeur de la construction européenne. Pour appuyer sa démonstration, l’auteur a réalisé différents travaux de terrain dont des entretiens auprès des acteurs économiques et sociaux de la Grande Région.
Au sein de la Grande Région Saar-Lor-Lux, entre le Luxembourg et la Lorraine, le développement du travail frontalier s’est accompagné de formes atypiques de détachements de travailleurs. Cet article se focalise sur les détachements transfrontaliers d’intérimaires du Luxembourg vers la Lorraine. Il montre qu’il n’est pas rare que des résidents français soient détachés en mission d’intérim en Lorraine par des agences luxembourgeoises, parfois non loin de leur domicile. Ce papier est structuré en trois parties. Il présente tout d’abord les principales dimensions socioéconomiques de ces pratiques de détachement. Ensuite, il montre comment, d’un pays à l’autre, les différentiels de dynamiques économiques et de législations sociale et fiscale ont contribué au développement des mobilités transfrontalières (et parmi elles, les détachements de travailleurs). Enfin, il expose les éléments actuels du débat sur ces détachements du point de vue des représentants locaux des agences d’intérim luxembourgeoises, des représentants syndicaux et des responsables de l’inspection du travail française. Les agences de travail temporaire implantées au Luxembourg jouent ainsi un rôle déterminant entre le Luxembourg et la Lorraine. Elles exploitent pour le compte des entreprises utilisatrices en Lorraine les différentiels de législations sociales et fiscales. Elles rendent ainsi plus avantageux le recours aux travailleurs intérimaires inscrits dans les agences au Luxembourg par rapport à ceux inscrits dans les agences en Lorraine. Il s’agit de travailleurs qualifiés dans les domaines de l’industrie et de la construction. Ils sont détachés sur des missions relativement longues et continues. De plus, ce sont des travailleurs fidélisés par les agences d’intérim luxembourgeoises. Les différences des niveaux, des coûts du travail, des prestations sociales et des salaires constituent les ressorts du développement de telles pratiques. Ces pratiques légales selon les responsables d’intérim sont cependant très contestées par les syndicats de salariés en Lorraine. Pour les inspecteurs du travail, elles sont, de plus, mal contrôlées en raison de moyens insuffisants.
Ces dernières années, le travail frontalier est devenu un phénomène social, économique et humain majeur pour plusieurs pays. En analysant le cas des travailleurs frontaliers en Lorraine – une région qui a connu une forte progression de travailleurs frontaliers dans le passé –, la question principale que se posent les auteurs de ce chapitre est : « comment la frontière agit-elle sur les différentes composantes qui structurent les rapports à l’emploi et au travail frontalier (salaire, protection sociale, mobilité, qualification, etc.) ? » (p. 125) Après une présentation des éléments de problématique et de méthodologie qu’une telle analyse évoque, le développement des flux de travailleurs frontaliers en Grande Région est présenté. La partie principale est dédiée à une analyse des dimensions spatiales, institutionnelles, et socio-économiques de la relation d’emploi et de travail frontalier.
Dans cet ouvrage, la question du travail frontalier est traitée sous différents angles disciplinaires et méthodologiques, afin de faire un bilan des connaissances sur le sujet et d’analyser les enjeux et les perspectives de cette forme d’activité. La première partie décrit le travail frontalier dans ses configurations, ses évolutions et ses dimensions. Pratiques linguistiques, déplacements, profils des frontaliers sont abordés pour mieux les comparer au travail frontalier existant dans d’autres espaces (seconde partie de l’ouvrage), notamment le Rhin Supérieur et le canton de Genève. Plus analytique, la troisième partie porte sur les effets du travail frontalier en matière de dynamique de développement économique, d’urbanisation, d’espace de vie ou encore de gouvernance. Enfin, la quatrième et dernière partie aborde la question de la construction sociale du statut du travailleur frontalier (règles, conventions, représentation sociopolitique, etc.).
Au sein de la Grande Région Saar-Lor-Lux, le développement du travail frontalier s’est accompagné d’une diversification de ses formes, comme l’intérim transfrontalier. Les entreprises de travail temporaire se sont imposées comme de nouveaux intermédiaires de l’emploi au sein de cet espace transfrontalier, favorisant le développement de formes particulières d’emploi et tirant avantage des différences de législations sociales et fiscales entre pays tout en contribuant à la sélection de la main-d’œuvre frontalière. Les intérimaires détachés sont relativement bien formés, bien qualifiés et surtout fidélisés par les agences d’intérim. Tout en étant un instrument classique de flexibilité de la main-d’œuvre tout en permettant de recourir à des qualifications absentes sur le territoire, le détachement d’intérimaire constitue également un instrument de gestion des différentiels de coûts de la main-d’œuvre de part et d’autre des frontières. A grande échelle, ces pratiques de détachement transfrontalier risquent d’alimenter un processus de déterritorialisation des systèmes de règles nationales mettant en concurrence au sein de la GR les systèmes nationaux réglementaire dans les domaine notamment de la fiscalité et de la protection sociale.